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Spectre – Le média queer réunionnais

Terry : “Même moi qui suis gay, je ne comprenais pas ce que ça voulait dire”

Nous avons rencontré Terry, activiste réunionnais et coprésident de l’association Pilon. C’est avec sincérité et émotion qu’il nous raconte sa réalité en tant que personne queer créole. Un témoignage poignant, qui soulève des questionnements sur l’adaptation des codes LGBTQIA+ à La Réunion.

Peux-tu te présenter ?

Moi, c’est Terry Grimoire. Je suis coprésident de l’association Pilon, mother de la House of pilon, et réunionnais, fier d’être portois.

Peux-tu nous parler des codes LGBT et comment les adapter à La Réunion ?

Il y a le militantisme, que moi j’appelle “parisien”, qui est le militantisme européen, avec des codes extrêmement normés, proches de la réalité des personnes queer de l’Union Européenne de manière générale. Ces codes ne sont pas toujours adaptés à ce qui se passe ici, à La Réunion. Notamment au niveau du vocabulaire. Par exemple, en créole, il y a des pronoms qui ne pourront pas s’intégrer. 

Je pense que c’est important de s’adapter au territoire. Si on veut que la lutte pour l’acceptance des personnes LGBT fonctionne réellement, il faut absolument qu’on s’adapte au territoire. C’est-à-dire qu’à La Réunion, on parle créole, alors on doit faire un militantisme qui soit compréhensible aussi pour les créoles.

C’est pour ça que nous, on fait attention de bien utiliser une norme, ironiquement européenne, qui s’appelle le FALC (Facile à lire et à comprendre). Dans tous nos supports de communication, on va chercher à simplifier au maximum. L’objectif est que si demain, ma tante ou ma mère, ou même ma grand-mère, veulent venir à un de ces événements, qu’elles le voient passer sur les réseaux sociaux, qu’elles puissent comprendre de quoi on parle. 

C’est pour ça que par exemple, un de nos événements s’appelle le pique-nique arc-en-ciel, et pas pique-nique LGBTQIA+. Parce que, ma mère, qui est venue à la marche des visibilités avec moi, tenant sa petite pancarte “Plus de tolérance dans mon île intense”, et bien quelques jours après, je lui parlais de cette “marche des visibilités LGBTQIA+”. Et en fait, elle ne comprenait plus ce que je disais. C’est là que j’ai réalisé, en fait, elle ne comprend pas. Donc, il va falloir que je fasse en sorte de simplifier le langage pour qu’elle puisse me comprendre. Il fallait vraiment faire cet effort de simplification pour que la société réunionnaise puisse mieux nous comprendre. 

Parce que pour moi, l’homophobie, la transphobie, la biphobie, les LGBTphobies en général, elles viennent d’une incompréhension. Même moi, qui suis gay, je ne comprenais pas ce que ça voulait dire être gay à l’époque. Comme je n’ai pas compris tout de suite ce que ça voulait dire être trans, ou bi. 

D’ailleurs, quand j’ai fait mon coming-out, je disais que j’étais bi. C’était vraiment juste parce que pour moi, c’était plus facile de rester à moitié dans la normalité, et à moitié dans… je ne suis quand même pas “normal”. Enfin, je suis normal, mais vous avez compris.

Quelles sont selon toi les particularités du contexte réunionnais ?

Je pense qu’à la Réunion, en fonction des familles, on a une problématique liée à un héritage colonial. C’est des traumatismes, quelque part, qui nous sont hérités directement de l’esclavage. Et ça, on ne s’en rend pas forcément compte parce qu’il y a très peu d’études là-dessus, et on en parle très peu dans les familles. 

Dans certaines familles à La Réunion, il y a aussi énormément de violences normalisées. Aussi parce qu’on a répété un schéma colonial de domination des maîtres envers les esclaves, les parents l’ont répété sur leurs enfants. C’est pour ça que dans certaines familles, la violence corporelle est encore extrêmement présente. Je pense que ça s’est amélioré avec le temps. Je me souviens de ma mère qui me racontait que dans son enfance, elle était maltraitée avec du caoutchouc, ou on les mettait à genoux sur du béton avec du sel. C’est carrément de la torture. 

Toute cette violence-là, elle est aussi subie par les personnes qui font leur coming-out. Parce que, avec l’évangélisation des esclaves, on leur a mis dans la tête que l’homosexualité était un péché, qu’il ne fallait surtout pas faire ça, sinon on finissait en enfer, etc… Moi, j’ai des personnes de mon entourage qui ont dû quitter La Réunion parce qu’elles sont homosexuelles. Et ça a été fait dans une violence assez atroce. 

En fait, la pression familiale à La Réunion est beaucoup plus forte qu’en hexagone, je pense. Quand on est réunionnais, pour nous, la famille, c’est tout. Tous les dimanches, on fait des pique-niques en famille, on fait des sorties en famille.

La famille, c’est sacré, pour tous les réunionnais. Et donc, quand on fait une réunion de famille pour toi, pour te dire “il faut qu’on parle, tu es homosexuel”. Et toi, tu es là, au milieu. Enfin, je ne parle pas de moi, mais de quelqu’un qui l’a vécu. Et quand la décision finale, c’est “tu dégages de La Réunion et tu reviendras quand tu te seras soigné”… C’est extrêmement violent. Et ça, on en entend très très peu parler. Pourtant, je pense qu’il y a beaucoup de gens qui vivent ça. 

Cette pression familiale, c’est aussi dû à ce contexte : à La Réunion le regard des autres est extrêmement important. Donc, certaines familles préfèrent que leurs enfants s’en aillent loin d’eux, tout seuls, privés de leur culture, de leur famille, privés de leur créolité, plutôt que d’affronter le regard des autres. 

L’autre truc, c’est que cette personne-là, elle n’est jamais venue à un événement LGBT. Déjà, parce qu’elle cachait le fait qu’elle était de la communauté, mais aussi, je pense qu’elle refusait d’être LGBT. Il a fait des cérémonies pour essayer d’être hétérosexuel, il priait constamment pour changer, pour redevenir “normal”. Parce qu’il n’a jamais voulu ça. Parce qu’il ne veut pas décevoir sa famille.

Tu nous parlais du pique-nique arc-en-ciel, qu’est-ce que c’est ?

Vous allez voir, je parle tout le temps de ma mère (rires). En fait, le pique-nique arc-en-ciel, c’était une idée de ma mère. C’est elle qui m’a dit, en voyant les événements LGBT passer, qu’elle ne se sentait pas d’y aller, parce qu’il y avait un vocabulaire qu’elle ne comprenait pas forcément, et que du coup, c’était peut-être pour un public en particulier. 

Nous on vient d’une classe populaire, il lui fallait peut-être des éléments plus accessibles à tout le monde. Elle m’a dit “pourquoi on ne ferait pas un pique-nique” où tout le monde peut venir, un truc familial ? Et j’ai dit que c’était une très bonne idée. Dorine, la présidente de l’association Un corps une personnalité, principalement composée de lesbiennes réunionnaises, est venue chez moi. Elle m’a dit “pourquoi on ferait pas un pique-nique ?”. Je lui ai répondu “t’as parlé avec ma mère ou quoi ?” (rires) Et en fait non, elles avaient eu la même idée. Deux personnes m’ont proposé ce truc-là, on s’est dit qu’on allait le faire. 

Au premier pique-nique arc-en-ciel, on n’était pas totalement rassurés. Pour la première fois, on allait faire un événement LGBT, dans la nature, mélangés avec d’autres personnes. Généralement, nos événements se faisaient dans un cadre safe, même lors de la marche des visibilités finalement, on reste dans notre couloir avec des policiers de chaque côté, donc on est “protégés”.

Là, on était au milieu d’autres familles. Franchement, c’était génial. À un moment, notre enceinte n’avait plus de batterie, ça a coupé. Et la famille d’à côté avait une grosse enceinte, avec de la musique qui était trop bien. On a dansé tous ensemble. C’était vraiment cet événement super familial. On a fait un quizz, les gens ont remporté des drapeaux, des rubans, etc. On a posé la question “qu’est-ce que ça veut dire LGBT?” et il y avait 3 ou 4 personnes qui ne savaient pas ce que c’était. Pourtant, ils étaient là, au pique-nique arc-en-ciel. Parce que arc-en-ciel, c’est plus accessible, LGBT, ça ne l’est peut-être pas toujours. 

Ensuite, on a décidé de faire un événement à Maurice. Pilon, il ne faut pas l’oublier, c’est une insulte qui veut dire “pédé” en créole mauricien et en créole seychellois. On a choisi ce nom-là en connaissance de cause, bien évidemment. Mais c’était aussi par solidarité. La solidarité était déjà là au moment de la création de Pilon. On sait qu’à La Réunion, on a quand même une certaine chance, parce qu’on a des marches des visibilités, ça se passe bien, il n’y a jamais eu de débordements. On a quand même pas mal d’associations qui font régulièrement des événements. 

On sait que dans le reste de l’Océan Indien, ce n’est pas toujours évident, il y a des problématiques liées à la sécurité des gens. Il y a des gens qui vont en prison de façon arbitraire, il y a énormément de violence, et il y a des meurtres. Enfin, ce n’est pas pareil, c’est beaucoup plus difficile.

On s’est dit, en solidarité avec les autres îles de l’Océan Indien, on va porter ce nom, Pilon, pour dire que nous, on est fiers d’être comme on est. On n’a pas honte et on le porte comme un étendard. On le porte aussi pour leur envoyer ce message, pour dire regardez, on pense à vous, vous n’êtes pas seuls. C’est pour ça qu’on a lancé un événement à Madagascar, puis à Maurice, en collaboration avec des associations mauriciennes. 

Un dernier message à passer ?

Le message ke mi veu fé passé a tout’ la société créol réunionnèz, sé ke, moin mi di tou le tan, avant d’èt LGBT, kan moin lé né, moin lété créol. Mi té coné pa ke mi lété LGBT, mé mi lété kom sa. Depui mi lé pti, té wa déja, kan mi té joué ek mon bann cousin mi té veu tou ltan èt la marié. Kan mi té joué ek mon ti ser, sété prète a moin ton barbie, mi donne aou action man. Sa lété éviden. I fo bien comprann ke, nou nou la pa choisi det komsa, la tomb su nou. 

Y fo arèt juge a nou, y fo arèt moukate anou, mem su rézo socio. Na encor in ta domoun y pens ke nou, nou ve impoz nout bann zidé, ke nou ve converti lé zot a èt LGBT. Sof ke sé pa in nafer ke nou peu impozé. Nou lé né komsa, nou la pa choizi. Donc, arèt in ti kou ek zot violence, y fo ke tout créol lé solidèr, ke tout créol y travay ensamb, et ki accept lé différans. Paske le viv ensemb, y exiss pa sans lé LGBT. 

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