Nour : “Être lesbienne et fonder une famille, c’est possible”

Nous avons rencontré Nour, Maman de la petite Aïna qui est née suite à la première PMA réalisée dans un cadre légal à la Réunion.
Comment ta compagne et toi avez décidé de devenir parents ?
Ma compagne et moi, on est ensemble depuis 16 ans, donc on a eu le temps d’aborder ce sujet. Moi, très tôt, je savais que je voulais fonder une famille. Pour ma compagne, ça a été un peu plus long, le temps pour elle de se sentir adulte et de prendre cette responsabilité.
Ensuite, le parcours a été assez technique, on a voulu d’abord faire une PMA à l’étranger. Certains de nos amis allaient faire un enfant en Belgique ou en Espagne. Nous, on n’avait pas forcément les fonds pour faire ça. Quand on a voulu se lancer, c’était la période de la discussion autour de la légalisation de la PMA en France. On a fait des tentatives avec un gynécologue français, qui se sont faites dans de très mauvaises conditions, car c’était encore illégal. Elles ont toutes échoué.
Plusieurs années ont passé. On est ensuite arrivées à la Réunion après le confinement, un peu déprimées suite à ces échecs. Dès que la loi est passée, on s’est rendues au centre de PMA de Saint-Pierre. On a été déçues, car la dame à l’accueil nous a dit “non, les décrets ne sont pas arrivés, on ne reçoit pas les couples de femmes”. Certes les décrets n’étaient pas là, mais la loi était promulguée.
Alors, on a rappelé, en se faisant passer pour un couple hétéro. Une fois devant le médecin, ma compagne a expliqué qu’elle avait dû mentir pour avoir un rendez-vous. Le médecin était outré qu’on ne nous ait pas reçues dès le début. Le temps que la loi entre en vigueur, on a pu préparer tous les tests. On a patienté encore un an. Il y a eu des rendez-vous avec une psychologue, qui se sont très bien passés, puis ça a enfin commencé.
Combien de temps s’est écoulé entre le moment où vous avez décidé d’avoir un enfant, et le début effectif de la grossesse ?
C’est assez court en réalité. Quand j’y repense, ça me semblait une éternité quand j’étais dans l’attente. C’est l’histoire de quelques années.
On a vu notre trentaine se consommer, on commençait à nous dire de faire attention à notre fertilité, mais finalement ma compagne n’avait pas de problèmes de fertilité. Mais physiquement, c’est dur avec les hormones, et il y a aussi un deuil à faire lorsque ça ne fonctionne pas du premier coup. On n’a pas trop le temps de s’apitoyer sur son sort si on veut que le projet aboutisse, il faut s’accrocher, insister. On ne s’est pas laissé le temps de se poser des questions. On savait que l’attente allait être longue.
C’est d’autant plus compliqué pour les personnes racisées qui sont en France hexagonale, puisque les médecins continuent à faire cette PMA des hétérosexuels, qui consiste à trouver chez le donneur des caractéristiques génétiques qui sont présentes chez la personne qui ne porte pas l’enfant. Sauf que dans mon cas, ma fille a deux mamans. On ne va pas mentir sur le récit de sa conception, donc qu’elle me ressemble ou pas, ça reste ma fille. Je sais que ce fonctionnement peut rallonger le parcours. Je suis franco-malgache, les profils réunionnais sont donc plus proches de mon patrimoine génétique.
Après, d’autres problèmes peuvent rallonger l’attente. Le manque de donneurs de sperme et d’ovocytes, face à la forte demande, crée une longue attente.

Maintenant qu’Aina est là, comment ça se passe avec vos proches et en famille ?
L’avantage, c’est qu’on est en couple depuis longtemps. Vers la fin de la vingtaine, la question des enfants a commencé à se poser et on a été claires sur ce qu’on voulait. Déjà, ce genre de questions, on devrait arrêter de les poser. Que les gens aient envie de faire un enfant ou non, c’est à eux d’en parler, on ne devrait pas avoir à le demander.
Au-delà de ça, on a su dire que c’était un sujet qui nous faisait de la peine, et qu’en parler le dimanche midi autour d’une table en répondant à 14 questions n’allait pas nous aider à fluidifier ce processus. Ils ont donc complètement arrêté d’en parler.
De notre côté, on ne leur a pas dit tout de suite que le parcours de PMA avait démarré, ce qui a permis de laisser place à une vraie surprise lorsque ma compagne est enfin tombée enceinte.
Dans ce parcours pour devenir mamans, quelle a été la plus grande difficulté ?
La difficulté pour moi, c’était plutôt la question de la fertilité. Bien qu’on soit fertiles, un accompagnement médical a été nécessaire, et il y a toute cette situation qui te fait comprendre que tu n’es pas maître de ton destin.
Aujourd’hui encore, on fait face à une norme de la famille hétérosexuelle, et en plus, la fertilité est un sujet tabou. La difficulté se trouve là-dedans, et dans le fait de dépendre du milieu médical, dans l’attente, la frustration.
Je me demandais si c’était parce que je suis lesbienne, ou bien si c’étaient bien les temps d’attente normaux. Il y a aussi une anticipation avant chaque rendez-vous, puisqu’on était les premières dans ce cas-là à la Réunion. Les médecins étaient souvent gênés, par exemple lorsqu’il fallait rayer la mention “monsieur” des documents administratifs.
On est vulnérables, on a peur de tomber sur des gens qui, même sans parler d’homophobie, ne nous traiterons pas de la même façon que les autres couples. Quand on a vraiment envie d’avoir un enfant, l’attente est parfois dure à gérer, on ne sait pas quand ça viendra.
Quel conseil donnerais-tu aux personnes LGBT qui aimeraient fonder une famille ?
Je pense qu’en parler est important. C’est toujours rassurant, quand on le peut, d’en parler à des gens qui l’ont déjà fait, discuter avec les gens concernés par les mêmes problématiques. Et même si c’est dur, il faut être patient. Ne pas hésiter à en parler avec son partenaire, ou avec un proche si on souhaite avoir un enfant seul.
Une fois qu’on est sûr de ce qu’on veut, il ne faut pas trainer, car les démarches sont longues. C’est pas très sexy dit comme ça, on devrait pouvoir fonder une famille juste parce qu’on le veut, parce qu’on est amoureux, heureux. Mais dans notre cas, c’est des démarches très longues qu’il faut anticiper.
Que dirais-tu aux personnes qui pensent qu’une, c'est : une maman, un papa, et un enfant ?
Il faut regarder autour de soi : je n’ai pas l’impression que l’hétérosexualité empêche les gens de maltraiter leur enfant. Je ne comprends pas que ce soit un sujet. Si la préoccupation première, c’est le bien-être de l’enfant, il y a plein d’enfants issus de familles hétérosexuelles qui sont placés en foyer, qui souffrent, et ce sont eux qu’il faut aider.
Quand on regarde bien les choses, les couples LGBT qui souhaitent avoir un enfant y ont réfléchi longtemps, ce n’est pas un coup de tête. Certains enfants ne sont pas nourris à leur faim, sont mal aimés, agressés. Il faut s’occuper en priorité de ces enfants-là plutôt que de ceux qui naissent dans une famille aimante. Concentrez-vous sur ceux qui souffrent, ne vous inquiétez pas pour les nôtres, on s’en occupe bien, ils grandissent bien, ils sont aimés et en bonne santé.
Et puis cette expression, “un papa et une maman”, je trouve ça hyper dur pour ceux qui ont perdu leur père ou leur mère, ou ceux qui n’en ont jamais eu dans leur vie. C’est nier le vécu de plein de gens, et c’est très violent pour un enfant d’entendre ça, de croire que sa famille n’est pas conforme. Je ne dis pas que tous les parents homosexuels sont parfaits, mais on devrait s’occuper de tous les enfants en difficulté, sans se soucier de la famille dont ils sont issus.
Que dirais-tu aux personnes qui pensent qu’une, c'est : une maman, un papa, et un enfant ?
J’aurais aimé entendre qu’il était possible de fonder une famille en étant lesbienne. J’ai fait mon coming-out très tôt, j’étais au lycée. J’aurais aimé qu’on me dise que m’assumer comme je suis en tant que lesbienne ne voulait pas dire que je devais abandonner le projet d’avoir une famille. Pendant longtemps, ça a été une grande tristesse, comme un deuil à faire pour moi. Je me disais que c’était comme ça, je n’aurais pas d’enfants. Alors que ce n’était pas vrai.
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