Aller au contenu

Spectre – Le média queer réunionnais

Robin : "Kréol LGBTQ+ nou lé pas plis nou lé pas moins"

Nous avons rencontré Robin, qui agit avec l’association Pilon pour la communauté LGBT de l’Océan Indien.

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Robin, j’ai 26 ans. Je suis coprésident de l’association Pilon et membre de la House of Pilon. Je suis d’origine malgache et réunionnaise.

J’ai vécu un temps à Madagascar, j’ai travaillé à Antananarivo. C’est très difficile là-bas. C’est impossible d’être Out, de vivre librement en tant que personne queer. Au travail, dans la vie familiale, dans la vie quotidienne, il n’y a pas de lieu où on peut être soi-même sans être stigmatisé, discriminé ou même violenté.

Après, on a l’opportunité d’améliorer les choses. Il y a des solidarités qui se créent. Avec Pilon, on entre dans une logique de coopération LGBT des îles de l’Océan Indien. On a commencé avec Madagascar et Maurice en 2024.

Peux-tu nous parler de ta dernière collaboration avec Madagascar ? Comment ça s’est passé ?

On a collaboré avec Mada Living, un média queer malgache et l’association Queer Place Madagscar pour organiser un événement, “FAG-Fihavanana”. Le mot “fag” est une insulte en anglais qui veut dire “pédé”. C’est un terme que la communauté LGBT s’est réapproprié ces dernières années. “Fihavanana”, c’est la famille en malgache. Pour nous, le but, c’était de créer une unité à Antananarivo, de créer un espace d’expression. 

C’était mon premier projet en tant que coprésident de Pilon, il me tient à cœur. On avait peur qu’il n’y ait pas beaucoup de monde. C’était la nuit, en centre-ville, les gens auraient pu avoir peur de venir et d’être vus, d’être “outés” (sortis du placard de manière involontaire). Finalement, on a reçu 70 personnes. Tout le monde a joué le jeu.

Les gens étaient là pour rencontrer de nouvelles personnes, se faire des amis. Il y avait un speed dating amical, pour briser la glace. On a fait des quizz sur la culture LGBT, la culture réunionnaise et malgache. En réalité, les gens s’en foutaient un peu des quizz, ils voulaient juste parler, rigoler. Tout le monde avait besoin de se retrouver dans un cadre safe pour être soi-même librement.

En coulisses, tu nous parlais de l’esprit Pilon, qu’est-ce que c'est ?

Pour moi, l’esprit Pilon, c’est se dire qu’on est unis, qu’on fait partie d’une même famille. C’est pas juste être dans la communauté LGBT, c’est être accueilli à bras ouverts. Peu importe qui tu es et d’où tu viens, si tu es pilon, tu auras toujours ta place.

À La Réunion, on entend souvent dire “bann gay, c’est pas un zafer y sorte terla”. Qu’est-ce que tu en penses ?

Je pense que c’est dommage. C’est toujours le créole LGBT qui est perdant. Beaucoup disent que les LGBT, c’est quelque chose qui vient de France, des États-Unis, que les jeunes d’ici veulent faire comme ce qu’ils voient à la télé. Mais en fait, les créoles queer, gay, bisexuels, lesbiennes, transgenre, se retrouvent exclus, isolés. Ils sont toujours obligés de choisir entre leur culture, qui ils sont en tant que réunionnais, ou leur identité de genre et leur orientation sexuelle. Et il n’y a pas à faire ça. On ne devrait pas choisir.

En créole, on dit “zot lé pa plus, nou lé pa moin”. Les créoles queer ne sont pas moins créoles que les hétéros. Tout simplement.

Qu’est-ce que la Ballroom scene représente pour toi ?

La Ballroom scene c’est un mouvement créé par les Afro-Américains queer. C’était un refuge, une expression artistique des personnes opprimées. Dans les ball, on retrouve du voguing, des défilés, des performances de lipsync. Les groupes qui s’affrontent dans la compétition sont appelés des Houses.

Pour moi, ça représente beaucoup, rejoindre la House of Pilon a révolutionné ma vie. Je n’ai pas toujours voulu performer. Je voyais ça de loin en tant que spectateur. J’étais émerveillé, mais je ne me voyais pas le faire.

Par contre, j’ai toujours voulu participer à la lutte pour les personnes queer, sans savoir comment le faire. Je ne me sentais pas représenté, pas à ma place dans les endroits qui existaient. Rejoindre Pilon, ça m’a aidé à trouver ma place.

Je voyais qu’il y avait quelque chose de différent dans cette House, elle était plus accessible. Pour moi, c’est la House du peuple. Dans la manière de performer, Pilon est beaucoup plus ouvert au public. Terry est venu me parler sur Instagram. Je sais que c’est pas forcément comme ça que ça se passe dans une House. Généralement, les fondateurs de la House vont te repérer en fonction de tes performances. Moi, il ne savait rien de mes qualités de performeur. 

En fait, ce n’est pas ce que tu vas apporter au groupe qui va déterminer que tu en fasses partie ou pas. C’est ce que tu reflètes dans ta personnalité et tes valeurs. Ce qui est important pour nous, c’est se dire qu’on fait la place pour tout le monde. On fait la place pour les personnes créoles queer exclues, celles qui ont besoin d’un endroit où elles sont accueillies à bras ouverts.

Comment s’est passé ton premier ball ?

J’ai participé à mon premier ball trois semaines après mon premier entraînement (rires).  Tout le temps, les membres de Pilon me poussent à sortir de ma zone de confort. Ça me surprend à chaque fois.

Mon premier ball n’était pas du tout prévu. Je commençais tout juste, je ne savais pas quoi faire de moi-même (rires). Quelques jours avant le ball, Terry m’a dit “tu devrais participer”. Il ne m’a pas forcé la main, j’ai pris la décision seul, mais il m’a aidé à saisir l’occasion même si je ne me sentais pas prêt.

Je sais que j’étais pas prêt, d’ailleurs, je me suis fait ”chop” (éliminer). Mais j’étais content de l’avoir fait, ça m’a poussé à prendre confiance en moi. Le ball suivant, j’ai été sélectionné, et puis j’ai remporté 2 Grand Prize par la suite.

As-tu un message à faire passer ?

Vous avez votre place dans les espaces queer à la Réunion. C’est pas évident pour tout le monde. On n’a pas tous les moyens de prendre cette place, ça peut paraître dangereux pour certains.

Pour les queers de l’Océan Indien, je dirais, on est là pour vous. On pense à vous, on va travailler ensemble et être plus solidaires. On portera plus haut vos droits, ensemble, on va y arriver.

Abonne-toi à @spectre.lemag sur les réseaux sociaux pour plus de contenu qui met en avant les queer de La Réunion ! 💜💛⭐