Véronique : “Si mon enfant ne s'était pas assumée, j'aurais raté un truc!”

Nous avons rencontré Véronique, maman d’une jeune femme trans. C’est avec émotion et résilience qu’elle nous raconte les étapes qui l’ont amenée à mieux accepter l’identité de son enfant. Un témoignage sincère, qui parle aux familles des enfants qui n’entrent pas dans la « norme ».
Peux-tu te présenter ?
Je suis Véronique Préto, maman de quatre enfants, je vis dans le nord de La Réunion. Je suis coach professionnelle et formatrice.
Comment as-tu découvert que ton enfant était trans ? Qu’as-tu ressenti ?
J’ai découvert que mon enfant était trans lorsqu’il me l’a annoncé. J’ai ressenti de l’incompréhension parce que j’avais des idées claires sur l’homosexualité, mais pas sur la transidentité.
J’avais compris que ça avait un lien avec ce que j’avais pressenti. Il y avait une sorte de soulagement, et en même temps d’interrogation. Je n’ai pas réagi à l’extérieur, car j’étais déjà convaincue de la différence de genre de Clarence. Mais il y avait une grosse interrogation à l’intérieur.
As-tu remarqué des changements dans sa personnalité depuis le début de la transition ?
Oui, elle est beaucoup plus extravertie, plus à l’aise dans ses envies. Elle a assumé complètement son côté féminin. En même temps, on a ressenti de la peur et de la méfiance par rapport au regard des autres, à l’acceptation.
Qu’est-ce qui a été le plus dur à surmonter ?
Les peurs principales, c’étaient : comment on va être reçues, comment on va m’accepter dans la famille et elle, à l’école ? Qu’est-ce que les autres pensent de moi lorsqu’ils posent le regard sur moi ? Cette période n’a pas été évidente, parque qu’elle a eu besoin d’un groupe de soutien, qui s’est formé naturellement au collège. Elle avait un entourage de camarades qui l’aident, non seulement à s’exprimer comme elle le voulait, mais aussi à relativiser les moqueries, les remarques désobligeantes, les attitudes.
Au niveau de la famille, ça s’est fait naturellement. On a lui a vite fait baisser la garde, on l’a accueillie telle qu’elle était instantanément.
Le plus difficile, je pense, c’était de la rassurer. Quand elle était toute seule, elle était soumise à ses peurs, ses projections, et surtout aux remarques des autres. Elle a dû gérer ça en autonomie, c’était délicat.
Concernant la famille et les proches, y’a-t-il eu des réactions qui t’ont surpris ?
Je crois que ce qui m’a le plus surpris, c’est la capacité des personnes à être ouvertes, et à accepter d’entrée de jeu. Je me suis demandé : est-ce que c’est sincère ou pas ? Est-ce que vraiment, il y a une acceptation totale et une compréhension ?
Au niveau de la compréhension, on a eu la réponse. Non, on ne comprend pas vraiment, il faut nous expliquer. Au niveau de la sincérité, je ne sais pas, je ne saurai pas le dire. Quoi qu’il en soit, ça ne nous a jamais empêché de continuer notre vie, et d’accompagner Clarence dans ses besoins.
As-tu rencontré d’autres personnes dans la même situation ? Selon toi, être trans, est-ce que c’est bien accepté à La Réunion ?
Je n’ai pas rencontré d’autres parents, mais j’ai eu affaire à des jeunes. Il y en a pour qui c’était simple, et d’autres pour qui ce n’était pas simple, c’était tabou et source de conflits. Pour certains, ce n’était même pas encore révélé aux parents.
Je sais qu’ils ont trouvé beaucoup de réconfort à la maison, avec moi, avec Clarence et les frères et sœurs, parce que chez nous ce n’est pas un sujet. Tu viens tel que tu es et ton genre n’est pas sujet à discussion.
Je sais que c’est une souffrance et une incompréhension encore pour beaucoup de gens. Les parents ont du mal à intégrer cette notion comme étant une réalité acceptable et les enfants ont du mal à voir ça comme quelque chose à traverser, qui pourrait les amener vers un mieux-être.
Quel conseil donnerais-tu aux familles et aux proches des personnes trans afin de mieux les accompagner dans la transition ?
Le premier conseil serait de ne pas le faire seul. De ne pas hésiter à contacter des instances associatives ou pédagogiques, pour se renseigner. Ensuite, il faut faire confiance à ce qu’il y a à l’intérieur de la personne, l’écouter. Un cœur, ça ne trompe pas, ça ne dit pas de mensonges.
Et surtout, d’être en capacité d’aller regarder ce qu’il y a à l’intérieur de soi, ce qui est touché, ce qui fait mal, lorsqu’on comprend que son enfant n’est pas exactement la personne qu’on attendait à la naissance.
Il faut se dire qu’on est conditionnés. On est mis dans un cadre qui, parfois, rend difficile la différence, même si elle est dans notre cercle, ou à la maison. Tout ça ce n’est pas seulement dû à l’enfant, la responsabilité est plus vaste et plus complexe que ce qu’on peut comprendre.
Une réaction instinctive serait de s’en prendre à soi-même, ou s’en prendre à son enfant. C’est normal. Apprendre une nouvelle qui remet en question sa vision de la vie, ses croyances, etc, c’est violent. Mais il ne faut pas s’arrêter à là. Derrière ça, il y a quelque chose qui est positif, pour soi et pour ses enfants.
Je pense que le premier message positif, c’est à quel point on s’aime et à quel point on aime l’autre, et que la différence, elle a son avantage.
Quelles sont les choses que tu as dû déconstruire en tant que maman durant cette période ?
J’ai dû déconstruire la croyance que le parent est tout-puissant, qu’il sait tout ce qu’il faut pour le bien-être de son enfant. Comprendre que sa trajectoire n’a pas tout à voir avec ce que j’avais en tête, que mes projections n’étaient peut-être pas appropriées, voir toxiques. Qu’il fallait absolument que je sois souple, pour lui laisser son espace de liberté, pour qu’elle puisse se construire à sa manière.
C’est pas parce que Clarence et moi, on s’entend bien, que je sais tout d’elle. Elle a aussi son espace privé. Même si on a peur. Je sais que lorsqu’elle sortait quand elle était lycéenne, on ne savait pas ce qui pouvait se passer à l’extérieur. J’ai dû apprendre à lâcher prise, à faire confiance. Il faut faire confiance.
J’ai dû apprendre à remettre en question mon rôle de parent, à comprendre qu’en fait, toute la société a fait que je me sens toute-puissante pour l’aider à devenir quelqu’un de bien, quelqu’un d’adapté, quelqu’un qui puisse naviguer dans un monde sympa, mais en fait non ! Je n’ai pas toutes les réponses.
C’était à moi de faire le travail pour pouvoir digérer le fait que je ne suis pas toute-puissante et qu’elle a aussi une part de pouvoir entre ses mains, qu’elle peut l’utiliser sciemment et grandir avec.
J’ai dû chercher des ressources pour moi, chercher qui je suis, savoir comment on accompagne un enfant, quel lien on peut construire pour qu’on puisse demain continuer à faire quelque chose de bien ensemble.
Les règles du jeu avaient changé. Et franchement, ça demande du courage. Ça demande de l’honnêteté. Et ça demande de laisser sortir les émotions, et tout ce qui fait mal.
Peux-tu nous raconter une anecdote qui résume bien votre lien mère-fille aujourd’hui ?
Quand je vois Clarence danser dans les Balls de voguing… J’ai une fierté incroyable. Elle incarne exactement tout son potentiel et toute sa puissance. Et je me dis, on a failli rater un truc ! Si elle ne s’assumait pas complètement, on n’aurait jamais pu la voir exprimer tous ses talents aussi bien, et vivre des moments de folie.
Il y a beaucoup de générosité, beaucoup de création artistique, beaucoup de joie dans ce qu’elle fait. Et ça, c’est une grosse fierté pour moi. J’ai vraiment l’impression d’être plus qu’un parent, d’être un partenaire, un soutien, en gardant une distance suffisamment raisonnable, sans vouloir la posséder et tout maîtriser. C’est géant.
As-tu des contacts d’associations ou d’organisme à transmettre aux personnes qui vivent la même situation que toi ?
Il y a une association qui m’a contactée, et qui a vraiment insisté à coups de téléphones, de mails, de textos, sur recommandation d’un proviseur. C’est l’association Relier. Ils ont insisté pour entrer en contact avec moi. On a passé plusieurs heures ensemble et ça m’a aidé à décompresser, à dire là où ça n’allait pas, à avoir un regard bienveillant.
Ça m’a aidée à me sentir rassurée, réconfortée, et à baisser la pression. Parce que même si je suis à l’aise avec le sujet et que je gère plutôt bien, je me suis isolée comme une grande et je n’en parlais pas. Je gardais tout pour moi, tout à l’intérieur, et c’était galère… Donc, d’avoir quelqu’un d’anonyme et de professionnel (puisque ce sont des psychologues), mais aussi de tenace, parce qu’ils n’ont pas lâché l’affaire lorsque j’avais du mal à me rendre disponible, ça a tout changé pour moi. Je me suis sentie beaucoup mieux.
Maintenant, j’évite de négliger ce côté-là. Ok, tu le vis bien, mais ça génère en toi des choses qui ont besoin d’être entendues, qui ont besoin d’être déposées. Déjà, éduquer des enfants, c’est pas évident. Alors éduquer des enfants qui ne font pas partie de la “norme” et pour qui ça génère des peurs supplémentaires, on ne fait pas ça tout seul. Je n’ai pas cette prétention. Heureusement que j’ai arrêté d’avoir cette prétention, on le gère mieux.
Tu nous parles d’une période où tu t’es isolée pour digérer toutes ces émotions, as-tu senti qu’à un moment, vous vous êtes éloignées ta fille et toi ?
Oui, et c’est surtout moi qui me suis isolée. Clarence était beaucoup moins isolée, déjà parce qu’à la maison, on est nombreux, et puis c’est quelqu’un qui a besoin d’avoir un entourage amical solide. Moi, je me suis isolée comme une grande, parce que je ne savais pas quoi faire d’autre.
Mais je pense que dans l’éducation, on gère les problèmes comme des grands. Et comme je n’avais pas d’environnement où je pouvais parler spontanément de ce sujet, je ne suis pas partie les chercher non plus. J’ai fait comme d’habitude. Et ça, je sais que ça a mis de la distance parce que, mon silence, elle n’a pas su l’interpréter.
Elle a gardé le silence pendant que je gardais le silence. J’ai appris plus tard qu’elle l’a mal vécu. Mais moi, je ne pouvais pas faire autrement.
Après, on revient, on dialogue, et on comprend mais… je pense que si j’avais des repères ou des habitudes différentes, j’aurais peut-être vécu ça différemment.
En même temps, pour moi, ce n’était pas du tout une problématique, parce que je fonctionne comme ça, je suis plutôt autonome. Ce n’était pas du tout une mauvaise intention, c’était juste un processus que je vivais, tranquille. Ce n’était pas mon intention de mettre de la distance.
Et parfois, la distance, c’est important, pour que chacun puisse rentrer dans sa bulle, se régénérer, faire le point, et revenir. Enfin je dis ça, mais on avait quand même des échanges libres en famille.
Et puis ça s’est fait avec le temps, je suis sortie de ma bulle, sortie de mes réflexions et de mon positionnement. Clarence était en demande, pour savoir si tout va bien, si je n’avais pas de difficulté, si je l’acceptais. Il fallait que je sorte de mon mutisme pour la rassurer, pour lui expliquer ce qui s’est passé, une fois que j’avais suffisamment de recul et suffisamment de vocabulaire. Et après, tout a repris son chemin.
Aujourd’hui, tu es coach. Est-ce que cette voie t’a aidé dans ton rôle de maman ?
Oui, complètement. Ça m’a amené à faire un focus sur ma façon d’accompagner mes enfants. Déculpabiliser sur le chemin de carrière idéal et comment doivent être mes enfants tout de suite, maintenant, pour qu’ils puissent devenir des adultes épanouis, etc.
Du coup, je suis beaucoup moins stricte et moins exigeante envers moi-même. Beaucoup plus patiente aussi. J’essaie d’être force de proposition sur ce qu’eux, ils ont décidé de faire, pour pouvoir apprécier leur talent.
Je ne suis plus dans une norme lisse et brillante. Je suis davantage dans l’écoute, la patience et le guidage subtil. Ce sont pas des ordres, pas des contraintes, ce sont des propositions, des négociations, des ajustements et des moments favorables où je sais que c’est bon.
Parfois, le truc se gère tout seul. Le but, c’est d’utiliser dès maintenant ses talents. Prendre confiance, enlever toutes les barrières, tous les complexes. Ça, c’est bon, je sais faire.
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